Cap au Nord

Pas facile de quitter les Malouines, pas facile de quitter ceux qui nous ont accueilli, de quitter cette nature et tous ces animaux, si doux, si confiants. Pas facile non plus de faire route au Nord, mais on rejoindra Caleta Horno et ses guanacos sans difficulté. Ce sera ensuite Quequen, où nous retrouverons nos amis du Club de Yates Vito Dumas. Tout le monde et là, Nestor et ses amis, tout le monde a pris quelques années, même les chiens Peluche, Coca et Rubia.
Encore un plus Nord et c’est La Paloma où nous retrouvons Daniel et Monica, si chers à notre cœur. Nous ferons notre entrée au Brésil une fois de plus à Rio Grande do Sul. Là nous serons invités à nous amarrer au quai du Musée, à boire le vin de l’Ilha dos marinheiros, toute proche, à peine débarqués. Le Capitaine aura même l’honneur de naviguer sur « Tradicião », voilier historique du Lagoa dos Patos, construit en 1885, une grande sœur pour Skøiern.

Mais ce qui nous angoisse c’est de prendre ce qui s’apparente à la route du retour. Retrouver la famille, les amis, bien sûr, mais nous dire que c’est fini, que maintenant nous allons rentrer dans le rang, parader dans les fêtes et les rassemblements, mener des navigations tranquilles, nous ne nous y résolvons pas. Nous ne voulons pas finir dans une maison de retraite, ces prisons à perpétuité pour petits vieux, où la faucheuse ne se presse pas d’exécuter la sentence, sans appel ni grâce. Nous ne voulons pas non plus acheter un »campo » dans un pays lointain, pour y élever des poulets ou égorger des moutons, non, rien de tout cela.

Nous allons passer de mauvais moments jusqu’à ce que nous décidions de continuer, tant que nous le pourrons. Nous nous promettons de revenir dans le Sud, après quelques escapades nordiques et méditerranéennes, le Brésil serait une bonne base de départ pour l’Argentine et le Chili, les projets se mettent en place, et même si ce n’est que dans notre tête, c’est l’essentiel, cela nous sauve.

Notre bateau vieillit avec nous mais il lui suffit d’une couche de peinture et quelques unes de vernis pour paraître tout neuf, ce qui n’est pas notre cas… Avec les années nous sommes de plus en plus en symbiose, nous formons un tout indissociable, chat compris. Naviguer, sous le regard des étoiles, voyager, essayer de comprendre ce monde qui nous entoure, encore et encore.

Maintenant Rio de Janeiro, Manon et Enzo vont nous rejoindre, on va leur faire découvrir le Brésil que nous aimons tant, ça va être la fête !

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Malouines

Ventées les Malouines, très ventées…Une première tempête nous accueillera quelques heures après notre arrivée, elle sera suivie de bien d’autres et on en prendra l’habitude. Stanley n’est pas beaucoup plus protégé qu’ailleurs, se serait presque pire, mais les mouillages, bien qu’exposés, sont de bonne tenue. On pourra quand même profiter de Stanley, très très british, assiter au ballet des pêcheurs de calmar, coréens ou autres, au défilé des paquebots et leur lot de touristes, revoir l’ami grec Aleko qui part pour Saint Hélène, seul. On fera provision de tourbe pour le poële, de bonnes bières anglaises… La vie marine reste riche, dauphins de Peale, baleines (sei) qui profitent de l’abondance du krill.

Une petite amélioration du temps, suivi d’une autre belle tempête, et nous voila enfin à Peeble Island. Là on est chez les manchots, ceux de Magellan au bord de leur terrier, les Papous qui sont en pleine mue. Les moutons sont partout, les oies aussi, tout ce petit monde cohabite pacifiquement. Les dauphins de Commerson, si beaux avec leur smoking blanc et noir nous accompagnent jusqu’au Neck, sur Saunders Island, si près que j’aurai peur que l’ancre les blesse quand on mouillera.

L’arrivée au Neck est grandiose : des milliers et des millers de manchots au bord de cette plage magnifique, des Papous, des Magellans, des Royaux avec leur petit juste sortis de l’oeuf, des gorfous sauteurs dans les falaises. Comme c’est l’époque de la mue le sol est tapissé d’un duvet de plumes. On pourra s’approcher de très près, surtout des gorfous, il faudra même quelquefois leur demander de nous laisser passer. On a l’impression de se trouver sur une autre planète, on est chez les manchots.

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Un peu plus loin, à Carcass Island, on retrouvera les manchots de Magellan et les Papous, bien à l’abri dans le tussoc, ces grosses touffes qui sont un refuge pour presque tous les animaux. Les canards vapeur, les huitriers, les tussac bird, les tyrans à la poitrine rouge, tout le monde profite de la plage, et nous aussi pour ramasser du bois d’épave.

Alan et sa femme nous accueilleront à West Point Island, qui s’appellait autrefois Albatros Island, et on comprend pourquoi : là, dans le tussoc, on pourra approcher les jeunes albatros à sourcils noirs, encore au nid. Ils n’ont pas fini leur mue, les parents ne les nourissent plus pour qu’ils puissent s’envoler, et ils commencent à déployer leurs ailes gigantesques, sous l’oeil indifférent des gorfous sauteurs, eux aussi finissant leur mue. Ils sont trop drôles, on dirait des peluches, et ce qui frappe chez tous ce animaux qui vivent ensemble c’est l’absence d’agressivité, leur absence de peur de l’être humain.

Beaver Island, repaire de Jérome Poncet et ses fils, où ils partagent leur temps entre les voyages en Georgie du sud et Sandwiches du sud et l’élevage de moutons et de rennes. C’est le premier endroit des Malouines où nous trouverons un semblant de port. Les bateaux de Jérome, « Damien II » et le « Golden Fleece » sont échoués à la jetée, le bateau de Dion, le « Hans Hansen », a son coffre dans la baie. Et la nuit le souffle des dauphins de Commerson nous bercera depuis notre couchette.

New Island sera notre dernière escale aux Malouines. L’accueil de Charlene et John sera mémorable, ils nous recevront comme des amis et on profitera une fois encore des manchots papous, des albatros, des gorfous, des otaries…Les cormorans royaux, les skuas nichent là aussi, et les farceurs « Johnny Rooks », les caracaras, essaieront de nous arracher nos bonnets, c’est leur grand jeu. Pas de renards comme à Beaver, mais de jolis petis lapins, des chats sauvages, des faucons pélerins. New Island est une réserve naturelle depuis 1972, l’ïle commence à se remettre de 2 siècles de destruction : ravages de l’élevage, qui détruit le tussoc, et du massacre des animaux sauvages. Il y a moins d’un siècle on y chassait la baleine, puis les phoques à fourrure, puis les otaries, pour finir avec les gorfous…Des milliers d’entre eux périront, pour faire de l’huile, quand il n’étaient pas directement utilisés comme combustible…Leurs cousins de l’hémisphère Nord, les grands pingouins, n’auront pas eu la chance de survivre, l’homme, cet être supérieur, les aura rayés de la planète.
C’est aussi à New Island qu’a été retrouvée une pointe de harpon en silex, ces îles tant disputées ont donc certainement été yaghanes, ou kaweskar, longtemps, longtemps avant l’homme blanc…D’ailleurs ces îles ont un nom indien, les îles du vent….

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Ushuaia – Isla de los Estados

Ushuaia, encore un lieu de retrouvailles de marins : Tristan, Second du » Lyrial », Federico et Laura, rencontrés il y a 4 ans à Piriapolis, et bien d’autres….Difficile d’imaginer ce que fut Ushuaia au temps des Bridges dans ce haut lieu du tourisme, la prison de Radoviztky abrite maintenant musée et artistes et ce n’est qu’à l’Estancia Harberton et Bahia Cambaceres que nous retrouverons l’atmosphère d’ « Aux confins de la terre », de Lucas Bridges. Lieux magiques, les montagnes au Nord, les plaines, les bois peuplés de chevaux libres, de renards, d’oies, de caranchos, les pinguinos de l’Isla Martillo au Sud, tout un monde où on s’attend à rencontrer les indiens Onas dans leur hutte ou Lucas dans sa cabane. Les descendants de Thomas Bridges vivent toujours dans l’Estancia, et si le le mouton et sa laine font partie du passé, restent les hangars, les ateliers, Amalia, la baleinière construite par Despar, le dictionnaire yaghan de Thomas Bridges, si souvent détourné, sinon volé, et un musée que nous font visiter de jeunes étudiants enthousiastes.
Le vent nous pousse, une nuit à Buen Suceso, mouillage sinistre faisant face au Détroit de Le Maire, puis l’île des Etats, bien gardée par ses courants violents. Nous resterons une semaine à Puerto Hopner, coupés du monde dans cet abri extraordinaire, à contempler le vol des condors, à veiller sur la couvée de canards vapeur, à écouter le bruit des cascades, avant de rejoindre d’autres îles mythiques, convoitées et contestées, les Malouines.

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Yaghans

Caleta Mejillones. c’est ici qu’on vécu les derniers yaghans avant qu’ils soient « déplacés » à Ukika, tout près de Puerto Williams. Reste le cimetière, quelques habitations, des troupeaux libres, des oiseaux, la cabane de Martin, celui qui sait encore faire les canoës d’écorce, quand se ne sont pas de beaux canots en bois de cyprès. Il y a aussi une réplique de « chiajous », qui habritait autrefois les cérémonies d’initiation. C’est dans ces lieux qu’ont été prises les photos de Rosa Yaghan, la dernière des Wollaston. A Puerto Williams nous retrouverons Cristina Calderon, la dernière yaghane a parler la langue et son petit neveu Ariel, petit fils de Martin. Même s’ils sont peu nombreux, même s’ils sont déracinés, leur culture vit encore, on enseigne le yaghan à l’école maternelle, le musée Martin Gusinde leur est consacré. Eux à qui on avait dédaigné toute culture, alors que leur vocabulaire est riche du plus de 30 00 mots, eux qui n’avaient ni chefs, ni dieu, ni religion, eux pour qui la propriété privée se limitait à leurs outils, armes et canoas, eux qu’on a fait quasi disparaître sous prétexte de les « civiliser », ils sont encore là.
Puerto Williams c’est aussi le Micalvi, vieux cargo qui sert de Yacht club, bien que l’Armada ait fermé l’illustre bar qu’il abritait, c’est l’école de voile, la plus au Sud du monde, où plus de cent gamins apprennent à naviguer, quelque soit le temps, gratuitement. Avec les amis Mauro et Roberto comme professeurs ce seront bientôt des champions ! On y projettera « Le bouton de nacre », le film de Patricio Guzman, le temps d’un asado, grands moments…Puerto Williams c’est aussi le restaurant « chez Patty », c’est John le pêcheur, toujours prêt à rendre service, ce sont les retrouvailles, Carmen et Bernard, rencontrés en Polynésie, avec qui nous « braverons  » le Cerro Bandera qui domine le canal de Beagle, Juan Pedro, rencontré il y a 4 ans à Quequen, qui lui part pour le Nord. Ce sont aussi les colonies de goélands, les Dominicains et les Scoresby, à quelques pas du port, les chevaux qui broutent librement, n’importe où, les perroquets, hérons, oies et autres….
Sur la route du Horn, Puerto Toro, le village le plus au Sud du monde, puis les dauphins acrobates de la baie Nassau, le Horn, forteresse qui nous laissera passer tranquilement dans un moment de calme. Nous finirons l’année à Puerto Maxwell, seuls dans ce mouillage magnifique, baignant dans le kelp, fascinés par cette nature à l’état brut.
Quand nous découvrirons, au petit matin de notre départ, les cadeaux laissés par Francis et Mauro dans la nuit, nous nous promettrons de revenir un jour, si nous le pouvons, cette partie du monde nous envoûte.

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