100 ans ! Un siècle que « MARS/SKØIERN » est sorti du chantier Jørgensen og Viik à Grimstad, Norvège. Christian Jensen peut être fier, son premier 12 mètres est toujours vivant. Qui plus est, il ne se languit pas dans un musée, non, il navigue sur les mers du monde. Nous y sommes bien sûr pour quelque chose, nous avons parcouru quelques 100 000 milles depuis le jour où je l’ai découvert, échoué sur la cale du Moulin Blanc, à Brest. Il en a fallut des hasards, des histoires, des équipages, des Capitaines, pour en arriver là, traverser la guerre, les abandons, les mauvaises passes. Mais son étoile est là, elle brille et le protège.
Maintenant, nous allons continuer à naviguer avec notre centenaire, nous allons vieillir ensemble, dans nos éléments communs, la mer, le vent et les oiseaux du large.
Nous sommes très heureux
Maroni, le fleuve
Saint Laurent n’est situé qu’à 14 milles de l’embouchure, et l’influence de l’océan est forte : marées, courants, même l’acoupa, le poisson que nous pêche Marius, notre ami amérindien, aime l’eau salée. La marée on va s’en servir pour échouer notre bateau en le béquillant, et procéder à une réparation sur le bordé. En effet, la mise à l’eau à Salvador ne s’est pas trop bien passée, la coque a forcé et une liaison de bordé, sous la flottaison, a cédé. On bien sûr essayé de colmater la voie d’eau apparue en mer, sans grand succès. Ainsi, en une marée, une liaison toute neuve était en place, boulonnée inox, plus besoin de pomper. Tout cela avec les moyens du bord, travail de marin…
En pirogue on va remonter le fleuve jusqu’à Apatou, passer le saut Hermina, visiter les villages bushi nenge, noirs marrons descendants des esclaves échappés, où on participera à la préparation du couac et de la casave, aliments de base tirés du manioc, découvrir le roucou, ce colorant si tenace. Puis les villages amérindiens, d’ethnie kali’na, descendants eux des redoutables caraïbes. A T+merin, près des pétrogliphes, nous attendait Iris, petite boule de poils de 2 mois, sous alimentée, pleine de vermine. Elle a tout de suite trouvé sa place sur Skoiern, née au bord de l’eau elle était déja marin. On voulait un petit chien, elle grandit de jour en jour…
Le fleuve se sont aussi les pirogues construites un peu partout en bois d’angélique et bois grigran, splendides, pouvant mesurer jusqu’à 20 mètres. Passé Saint Laurent c’est pratiquement le moyen de transport unique, servant aussi bien aux fêtes qu’à la contrebande avec le Suriname. Avec elles et Richard notre piroguier on penétrera dans les criques, paisibles le jour avec les paresseux et les singes acrobates, animées la nuit par les caïmans et les anacondas.
Saint Laurent s’est aussi le marché, les fêtes, les anniversaires, les marches, une animation qu’on n’aurait jamais imaginé dans ce bout d’Amazonie.
En partant pour l’océan nous allons nous attarder dans les criques, ces affluents du fleuve où l’on navigue dans les arbres, mais avec plusieurs mètres d’eau sous la quille ! A part les yeux des caïmans aperçus une nuit on ne rencontrera pas d’animaux féroces, seuls les oiseaux, toucan ariel, hérons, aigrettes nous accompagnent. Au détour de la crique Malakami (la crique Coswine), Ayawandé, village kali’na, où vivent quelques familles gardiennes des traditions, Frederica et son fils Roger, Alphonsine et sa soeur. Un carbet communautaire est en construction, il servira surtout au village, les rares touristes ne pouvant accéder que par le fleuve. Pas d’internet ici, mais le courrier fonctionne, alors on s’écrira.
Bagnes
La traversée depuis Salvador a été rapide, et en moins de 13 jours nous mouillons sous l’île Royale, dans la Baie des cocotiers, aux Iles du Salut. Images de cartes postales dans un lieu maudit, avec l’ignominie comme remède à l’infamie. Maintenant la nature a repris ses droits, les cocotiers plantés par les bagnards on transformé ces cailloux en îlots de verdure. Restent les ruines, les cellules de l’Île Saint Joseph, le cimetière pour ceux qui y avait droit, même si nombre de tombes ne sont marquées que d’un caillou. Et pourtant ces lieux lourds d’une histoire peu glorieuse sont paisibles à présent, les touristes abondent, les gendarmes sont accueillants, les singes araignée impertinents, les agoutis cavalent.
Une nuit de mer et nous remontons le fleuve Maroni. La marée nous pousse, on longe la mangrove jusqu’à Saint Laurent du Maroni, encore un lieu d’expiation pour ceux que la France considérait comme indésirables. Là encore tous étaient mélangés, petits délinquants, criminels, opposants politiques…Il faudra le courage de quelques grands hommes, comme Albert Londres, pour mettre fin, en 1954, à ce traitement démesuré.
Ici une fois de plus, le temps et la nature ont fait leur oeuvre. St Laurent est un carrefour, le Surinam est sur l’autre rive du Maroni, traversé sans cesse par de magnifiques pirogues. On parle toutes sortes de langues, et la présence française n’arrive pas à atténuer ce mélange de cultures : amérindiens, noirs marrons, hmong, chinois, brésiliens, surinamais…C’est la Guyane, la Guyane amazonienne, celle des grands fleuves.
Baleines
De Rio à Salvador la route passe par l’archipel des Abrolhos, où nous étions déjà passés 5 ans avant, et cette fois ci nous sommes sûrs de voir les baleines. Et les baleines, on les a vu, et de très très près ! D’abord les australes, nos préférées, curieuses, tranquilles, qui s’amusent à rester la tête en bas, la queue droite hors de l’eau. Puis les jubartes, qui viennent ici pour se reproduire et élever leurs petits. Et là, en plein jour, une première collision. Un choc terrible, puis la baleine le long du bord, sonnée, mais apparemment pas blessée. Puis une deuxième, cette fois avec son petit. Après le choc elle se dressera hors de l’eau, dominant Anne Marie, son baleineau collé à son flanc, autant effrayé que nous. Il y en aura une troisième, de nuit cette fois. Nous nous décidons alors à mettre le moteur en route, malgré qu’il y ait un bon vent, mais nous avons peur pour notre bateau et cela nous fait mal pour ces pauvres animaux, fatigués par leur long voyage depuis l’Antarctique. Elles ne semblent pas nous entendre et, nous découvrirons plus tard, à Salvador, les marques laissées sur la coque par leurs nageoires, toujours en profondeur, ce qui nous fait penser qu’elles sont aussi surprises par le tirant d’eau de Skøiern. Nous allons essayer de diffuser de la musique dans l’eau, pour les réveiller….peut être aimeront elles Mozart ?
Salvador, une fois de plus à Bahia Marina pour caréner. Cette fois ci Daniel nous aidera, on commence à se faire vieux…
On assistera à l’éclipse de soleil, juste avant qu’il ne se couche sur Itaparica. Pauvre ile d’Itaparica, la veille de notre départ une lancha chavirera dans le mauvais temps, faisant de nombreux morts. C’est tout Salvador qui était en deuil.